La rupture brutale des relations commerciales établies est une thématique qui fait l’objet d’un contentieux particulièrement abondant, comme le démontrent les 300 décisions rendues tous les ans à ce sujet.

Il s’agit d’un argument  régulièrement évoqué par les acteurs commerciaux qui tirent profit du flou entourant cette expression pour essayer d’obtenir le prononcé d’une indemnisation par le Juge à la moindre rupture contractuelle.

En effet, les termes « rupture brutale »et «  relations commerciales établies »peuvent parfois être admis très largement par le juge, ce qui entraine quelques fois des décisions profondément injustes pour l’un des contractants.

Compte tenu des procédures de plus en plus nombreuses à ce sujet, il était évident que législateur allait devoir réformer rapidement la thématique pour apporter un éclaircissement sur certains points problématiques.

C’est donc avec la promesse d’apporter une réponse et de réduire les contentieux relatifs à la rupture des relations commerciales établies qu’est née l’ordonnance du 24 avril 2019.

Adoptée en application de la loi Egalim du 30 octobre 2018, l’esprit de l’ordonnance était de réussir la complexe conciliation entre le libre-exercice de la concurrence dans le respect des règles anticoncurrentielles. En d’autres termes permettre à la concurrence de s’exercer librement et éviter une protection excessive de certains acteurs économiques en place par rapport à leurs concurrents.

Si l’on se réfère au rapport du Président de la République qui accompagne ladite ordonnance, il s’agissait de « recentrer la liste des pratiques commerciales restrictives (de concurrence) autour de trois pratiques générales » qui « concentrent l’essentiel du contentieux en la matière ». L’objectif poursuivi est celui « de simplifier et de rendre plus intelligible l’environnement légal pour les opérateurs économiques, (…) tout en apportant des modifications à leur champ d’application ».

Le résultat, s’il est loin d’être novateur, permet d’apporter un éclaircissement bienvenu à de nombreux points, mais laisse paradoxalement en suspens quelques incertitudes.

I-Une réforme timide portée par de bonnes intentions

Le premier changement notable est la suppression du désormais très célèbre article L.442-6 du Code de commerce, remplacé par l’article L.422-1, II du Code de commerce. Concrètement rien ne change ou presque  sur le fond, car on retrouve la célèbre interdiction de :

«  Rompre brutalement même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence de préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages »

L’article L.422-1, II du Code de Commerce reprend donc tous les éléments importants de la rupture brutale des relations commerciale. On retrouve l’exigence d’une relation commerciale établiepréalable,la rupture totale ou partiellequi vient y mettre fin et enfin la possibilité de sanction pour la partie qui a rompu brutalement la relation commerciale.

Au grand désarroi des acteurs économiques, le législateur n’a pas fait l’effort d’apporter une définition claire et précise de ce qu’elle entendait par relation établie et rupture brutale, peut-être est-ce une façon de laisser au Juge la libre appréciation de ces termes. En tout cas, les parties concernées n’ont d’autres choix que se référer à la jurisprudence, qui à de nombreuses reprises, a eu l’occasion de préciser la définition d’une relation commerciale établie ainsi que de la rupture brutale.

La relation commerciale établie

Le Juge considère qu’une relation commerciale établie est une relation commerciale suivie, qui se caractérise par sa stabilité et sa régularité, c’est-à-dire une relation entre deux partenaires commerciaux qui perdure et dont la rupture aurait un caractère soudain et préjudiciable pour la partie victime, qui en raison de la régularité des rapports n’aurait pas pu l’anticiper.

Il est d’ailleurs important de rappeler que la notion de « partenaire commercial » a été remplacée par celle « d’autre partie », afin de ne pas exclure toute relation commerciale qui n’aurait pas vocation à être reconduite dans la durée et apprendre la pratique en cause de la négociation à l’exécution du contrat.

La question de savoir quelle forme doit avoir une relation commerciale établie n’est pas non plus évoquée par le nouvel article. Il faut donc encore une fois se référer à la jurisprudence pour comprendre qu’une relation commerciale établie peut être aussi bien à durée déterminée, qu’à durée indéterminée, il peut même s’agir d’une relation extracontractuelle, l’essentiel est qu’il existe une relation commerciale entre les parties.

De plus, la relation commerciale n’est envisagée que d’un point de vue strictement économique, et peut de ce fait s’échelonner de manière irrégulière dans le temps, du moment que d’une vision globale on puisse constater une pérennité dans la relation. En d’autres termes, il doit y avoir une constance dans les rapports commerciaux sans pour autant qu’une parfaite régularité temporelle soit de mise, même s’il faut préciser que dans les faits, la partie qui déclare être victime d’une rupture brutale doit pouvoir être en mesure de prouver que la relation avec l’autre partie n’était pas précaire, ce qui suppose de prouver une relation commerciale effectivement très régulière et parfaitement suivie dans le temps. La jurisprudence a aussi admis que l’ancienneté de la relation doit être appréciée avec d’autres critères tels que la dépendance économique des deux parties, les moyens mis en œuvre par les parties pour les besoins de la relation, la difficulté à retrouver un partenaire ou des produits de même qualité sur le marché, l’état du marché, le coût d’une reconversion…

Ainsi, faut-il retenir que la définition de relation commerciale établie est du ressort du juge, qu’elle est envisagée que d’un point de vue économique, qu’elle peut être analysée en conjonction avec des critères autres que la durée, qu’elle n’a pas à être parfaitement régulière dans le temps, même s’il est préférable qu’elle le soit à des fins de preuve.

La rupture brutale

La rupture brutale est un des éléments nécessaires pour pouvoir engager d’éventuelles sanctions contre le cocontractant qui rompt une relation établie, c’est tout naturellement donc qu’on le retrouve dans le nouvel article.

La rupture brutale est non seulement la rupture d’un contrat sans préavis, c’est à dire une rupture inopinée sans que la partie n’ait eu le temps de l’anticiper et d’organiser la suite la suite de son activité, mais aussi une rupture de contrat avec un préavis trop court pour que la partie victime de la rupture puisse se réorganiser de façon optimale.

La rupture partielle peut aussi s’envisager comme une rupture brutale quand elle a pour effet d’entrainer une baisse significative du flux d’affaires entre les deux parties, ainsi la modification unilatérale du contrat entrainant des effets similaires peut-elle aussi être perçue comme une forme de rupture brutale d’une relation commerciale.

Cette définition large de la rupture brutale est une invitation à la discussion entre les parties pour qu’elles prennent en compte les éventuelles conséquences qu’une rupture ou une modification unilatérale du contrat peut avoir sur la partie victime. En effet, la partie qui souhaite rompre une relation commerciale établie doit analyser les conséquences de la rupture, et doit prendre en compte la situation dans laquelle elle laisserait son cocontractant, nonobstant le respect du préavis contractuel. Car le seul respect du préavis contractuel peut être considéré comme trop court par le juge, qui rappelons-le dispose, d’une libre appréciation en la matière.

La réforme a supprimé l’article L.442-6, I, 4° du Code de commerce, qui sanctionnait la menace de rupture brutale pour obtenir ou tenter d’obtenir des avantages indus. Mais à ce stade, il serait incorrect d’affirmer que la menace de rupture ne serait plus sanctionnée, car comme l’évoquait le rapport au Président de la République«  la simplification du texte n’a pas pour objet de rendre les pratiques et clases actuellement prohibés licites », surtout que les juges peuvent toujours recourir à l’article L.442-1, I du Code de commerce qui interdit d’obtenir ou de tenter d’obtenir un avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné ou d’introduire un déséquilibre significatif dans la relation.

Les sanctions en cas de rupture et le plafonnement du préavis

Les sanctions en matière de rupture d’une relation commerciale établies sont nombreuses. Il peut s’agir d’un maintien forcé des relations quand l’affaire est portée suffisamment tôt auprès du juge mais aussi d’une indemnisation du préjudice découlant de la rupture, ces sanctions sont essentiellement reprises de l’ancien article L.442-6 du Code de commerce.

On peut rajouter l’amende civile que peut prononcer le Ministre chargé de l’Économie ou le Ministère public. Ici encore, le législateur reprend les éléments de l’ancien article, mais cette sanction est très rarement prononcée, même si le gouvernement a récemment annoncé vouloir accroitre l’utilisation de ce mécanisme. 

Enfin, on peut citer l’atteinte à la réputation, qui n’est pas une sanction à proprement parlé, mais un élément de sanction découlant d’une condamnation.

En effet, le juge peut ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de la décision afin que les partenaires commerciaux de la partie condamnée puissent être mis au courant des pratiques de cette dernière.

Comme évoqué en introduction, on constate que la réforme n’innove pas énormément et se contente de reprendre les éléments qui étaient justement critiqués. En effet, en approfondissant pas suffisamment les notions problématiques et en supprimant des éléments, le législateur prend le risque d’augmenter le nombre déjà important de contentieux. Mais il reste un élément à évoquer, qui pour le coup, est une véritable prise de position et une réponse proportionnelle aux attentes des professionnels, qui est le plafonnement du préavis.

En effet, le précédent article L.422-6 du Code de commerce était très largement critiqué car avait entrainé plusieurs dérives comme l’augmentation de la durée des préavis ou encore le coût des indemnités qui n’incitaient pas les partenaires à faire jouer la concurrence. Avec la réforme, le nouvel article L.442-1, II, al.2 prévoit que l’auteur de la rupture ne pouvait voir sa responsabilité engagée du chef d’une « durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de dix-huit mois ». Il s’agit d’une véritable avancée car sous l’empire de l’ancienne loi, la période de préavis pouvait aller jusqu’à 3 ans.

Aujourd’hui, même s’il est toujours du pouvoir du juge d’apprécier la durée d’un préavis raisonnable, celui-ci a les mains liées, et ne pourra pas condamner sous le fondement d’une rupture brutale si le préavis de 18 mois a été respecté, et ce quel que soit l’intensité ou la durée de la relation à laquelle elle met fin.

La réforme est venue aussi supprimer les causes d’allongement de délais prévus précédemment. En effet sous l’empire de l’ancienne loi, il était possible d’allonger la durée du préavis, et ce ne sera plus le cas désormais.

On peut noter le maintien de la possibilité de « résilier sans préavis en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ». C’est ce qu’on appelle en pratique une résiliation aux risques et périls de l’auteur, c’est-à-dire que la partie qui décident de résilier un contrat sans préavis et sans l’avis du juge, s’expose à des sanctions a posteriori, si le juge estime que l’inexécution n’était pas d’une particulière gravité justifiant la rupture immédiate. La prudence s’impose donc, car ce que la partie estime être une inexécution d’une particulière gravité, il se peut que le juge ne soit pas de cet avis. Le même traitement est pratiqué au sujet de la force majeure, qui ne peut être invoqué que dans des cas extrêmes de manquement d’une particulière gravité.

II-Des éléments d’incertitude

Comme évoqué, l’ordonnance soulève quelques incertitudes notamment en matière de champ d’application de la rupture brutale.  En effet sous l’empire de l’ancienne loi, l’interdiction de rompre brutalement une relation commerciale établie s’appliquait à une liste particulière de personne, excluant certains professionnels dont les contrats ont des délais de préavis encadré par des textes spécifiques. On ignore ce qu’il en sera avec la nouvelle réforme. La réforme opérée par l’ordonnance du 24 avril 2019 soulève également des incertitudes quantà l’application dans le temps des nouvelles dispositions.Il est indéniable que des dispositions transitoires sont nécessaires pour clarifier l’application de la loi dans le temps. Il apparaît indispensable que ces questions soient rapidement clarifiées.

 Vous êtes confronté à une rupture de vos relations commerciales, vous êtes poursuivi par l’un de vos partenaire commerciaux, nous sommes à votre disposition pour vous informer sur vos droits et assurer la défense de vos intérêts.

 Maître Isabelle HALIMI

Avocat à la Cour

25 rue Charles v-75004 PARIS

isabelle.halimi@halimiavocats.com